lundi 28 février 2011

LA TERMINOLOGIE À PRIVILÉGIER

Dans un texte publié le 12 février 2011 par Le Devoir, le linguiste Jacques Maurais et plusieurs ex-collègues terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF) déplorent un changement d’orientation noté dans certaines fiches du Grand Dictionnaire terminologique (GDT).

À titre de terminologue responsable des termes du domaine de la gestion de 1972 à 1980 à l’Office de la langue française, d’auteure du Multidictionnaire de la langue française et de directrice de la qualité de la communication à HEC Montréal depuis 1990, je souscris entièrement à la prise de position exprimée par les signataires de ce texte.

Il est peut-être nécessaire de rappeler que le Grand Dictionnaire terminologique n’est pas un dictionnaire usuel, mais plutôt une banque de données de trois millions de termes appartenant à des domaines de spécialité dont l’objet est de déterminer l’usage à privilégier, et non pas d’observer ou d’enregistrer les différents usages. « Il importe que l’école, les milieux de travail et l’ensemble de la société québécoise disposent de la terminologie française dont ils ont besoin et que des outils d’aide à la maîtrise du français soient accessibles de façon à favoriser le remplacement d’une terminologie existante inappropriée [...] », peut-on lire dans le Plan stratégique en matière de politique linguistique 2009 — 2014, section 2, p. 14, qui figure dans le site Internet de l’OQLF.

Les fiches du GDT sont généralement excellentes et renseignent adéquatement les langagiers du Québec et de toute la planète. Cependant, certaines fiches se contredisent et traduisent effectivement une orientation descriptive ne correspondant pas aux principes directeurs dont l’Office s’est doté pour conduire ses travaux terminologiques.

Marie-Éva de Villers
Auteure du Multidictionnaire de la langue française


 

lundi 21 février 2011

LETTRE OUVERTE À LA PRÉSIDENTE-DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE


Au-delà des mots, les termes

Les signataires de cette lettre ont tous été, à un moment ou l’autre de leur carrière, terminologues à l’Office québécois de la langue française. Ils ont pris l'initiative d'attirer l'attention de la nouvelle présidente-directrice générale, Mme Louise Marchand, sur ce qu’ils considèrent comme un changement d'orientation regrettable dans les travaux terminologiques de l'Office.
Dans l’orientation actuelle du travail terminologique, on constate qu’il y a maintenant deux tendances à l'Office. On aurait tort d'y voir une nouvelle version de la querelle des Anciens et des Modernes et encore plus de considérer qu'il s'agit d'une opposition entre puristes et laxistes. Il s'agit plutôt de la différence de perspective qu'il y a entre terminologie et lexicographie. Il faut en effet prendre conscience que la démarche terminologique est différente de la démarche lexicographique. Alors que la seconde est essentiellement descriptive, vouée à l’enregistrement objectif des usages sans les juger, la première a pour objectif de déterminer quelle est la meilleure dénomination pour un objet ou un concept. C’est ainsi que se définit le dictionnaire terminologique.
L’Office ne peut se limiter à observer et à enregistrer l'usage, ou les usages en concurrence, comme l’exigerait la démarche lexicographique, car il a le mandat de déterminer quel usage il faut préconiser. Or, il parvient de moins en moins à le faire comme le démontrent le nombre important de fiches contradictoires et les notes compliquées ajoutées aux fiches terminologiques mises en ligne.
Le changement d’orientation qui nous préoccupe se manifeste principalement dans la terminologie relative à la vie courante (alimentation, bâtiment, vêtement, etc.) et peu dans les terminologies très techniques ou scientifiques. Prenons l’exemple d’un terme de la vie de tous les jours, boisson gazeuse. Pour ce terme en apparence simple, le Grand dictionnaire terminologique nous offre deux fiches. La seconde fiche, qui accepte le mot liqueur comme « quasi-synonyme » de boisson gazeuse « en situation de discours usuel », contredit la première qui spécifie : « Le terme liqueur désigne en français une boisson alcoolisée non gazeuse et ne peut de ce fait être utilisé au sens de ‘boisson non alcoolisée qui contient du gaz carbonique’. » La note de la deuxième fiche, celle qui admet que le mot liqueur convient « en situation de discours usuel », est rédigée d'un point de vue qui est celui du lexicographe. Or, le Grand dictionnaire terminologique n'a pas pour vocation de décrire la langue courante.
Pour illustrer cette orientation descriptive, citons également à titre d’exemples la fiche changement d’huile au sens de « vidange », la fiche curriculum au sens de « cursus », la fiche cuisinière (domaine de l’équipement ménager) où le nom poêle est admis comme quasi-synonyme, la fiche plateau de service où le nom cabaret est accepté comme quasi-synonyme, la fiche salle de bains où le nom chambre de bain est donné comme synonyme.
L’Office ne devrait pas perdre de vue que son travail terminologique s’effectue essentiellement dans un contexte bilingue. Il est par conséquent important que les terminologues acquièrent de très bons réflexes de traducteurs, qu’ils connaissent les techniques de passage de l'anglais au français et qu’ils soient attentifs aux pièges de traduction. Bref, l’Office doit revenir à sa mission : faire face à l'envahissement de l'anglais en privilégiant, entre autres, les termes français corrects existants au lieu de termes empruntés récemment à l'anglais, de termes hybrides ou de traductions littérales même si, dans le dernier cas, ces mots sont attestés au Québec depuis longtemps. Car, dans les langues de spécialité, ce qui est québécois, ce ne sont souvent que des traductions littérales, des termes plus près d’un folklore désuet que de la modernité.
L’Office s’est doté, il y a plusieurs années, de principes directeurs pour orienter ses travaux terminologiques. Il nous semble urgent qu’il y revienne. Nous croyons en effet que l'application rigoureuse des règles est la garantie de la qualité du travail terminologique.
En terminant, il est important de mentionner que nous ne voudrions pas laisser croire que notre opinion des travaux terminologiques de l'Office est uniquement négative. Au contraire. Le travail de l'Office est très utile dans de nombreux domaines, par exemple dans la terminologie de l'informatique, où plusieurs de nos néologismes commencent à s'implanter, y compris dans d'autres pays francophones. Et nous nous en voudrions de ne pas mentionner le vocabulaire des conventions collectives, publié en mars 2007 et qui est un modèle du genre.

Jacques Maurais
Marcel Fourcaudot
Diane Lambert-Tésolin
Carole Verreault
Pierrette Vachon-L’Heureux
Arlette Fortin
Raymonde Moran
Pierre Poiré
Jude Des Chênes
Henriette Dupuis
Estelle Thibault
Monique Héroux
Hélène Martin
Monique Bisson
Andrée Laforge

Marie-Éva de Villers

Jean-Claude Corbeil

Pierre Auger


(Cette lettre a été publiée dans Le Devoir du 12 février 2011 et dans Cyberpresse le 14 février 2011)

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